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Bienvenue sur le site de la CCA

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mardi 31 janvier 2017

Point de vue


Pour une Cinémathèque du Cinéma Amateur


Aujourd’hui, il existe de par le monde de nombreuses cinémathèques[1] et c’est « formidable ». En France, il y a celle qu’ont créée Henri Langlois, Georges Franju et leurs amis mais il y a également la Cinémathèque de Bretagne, celle de Toulouse, celle des Pays de Savoie, de Corse, de Charente-Maritime, du Limousin, des Monts du Jura, etc.


 La Cinémathèque des Pays de Savoie et de l'Ain à Veyrier-du-Lac


La Cinémathèque de Bretagne à Brest


Si la Cinémathèque française et celle de Toulouse ont pour vocation première la sauvegarde des films diffusés dans les circuits commerciaux, les autres cinémathèques s’intéressent particulièrement aux films tournés par les amateurs. Mais les cinémathèques régionales sont confrontées à un dilemme : le nombre des productions des amateurs mais surtout leur diversité font qu’elles se trouvent dans l’incapacité de sauver tous les films qu’on leur propose. Elles se sont donc spécialisées dans la sauvegarde du patrimoine régional dédaignant, de ce fait, tous les films qui n’ont pas de rapport direct avec la région concernée. De plus et bien malheureusement, dans certains cas, les films ne sont pas récupérés, seules les images numérisées font l’objet d’une sauvegarde bénéficiant peut-être encore (on ne sait pourquoi ?) de la réputation d’une longévité supérieure à celle de la pellicule argentique.

Et bien ce qu’il nous manque, aujourd’hui, alors qu’il est encore temps de sauver le patrimoine en question, c’est une Cinémathèque du Cinéma Amateur, une cinémathèque à l’image de la Cinémathèque française mais pour les films amateurs, tous les films amateurs, s’interdisant de sélectionner entre les genres, les thèmes, les cinéastes et les supports. J’ai créé l’embryon d’une telle cinémathèque en mai 2012 mais malgré les dons et dépôts de films et de matériels reçus, elle est restée dans un état embryonnaire et il faudrait qu’une équipe solide la prenne en main ou bien qu’elle se dissolve dans meilleure qu’elle.

Qu’est-ce que le cinéma amateur ?

En guise de réponse, on pourrait se satisfaire de cette citation de Georges Régnier[2] : « Cinéma d’amateur »… Cinéma : « image animée ». Amateur : « qui aime ». « Celui-qui-aime-les-images-animées » : jolie formule que tout professionnel ne demande qu’à prendre à son compte.
Ou lui préférer cette définition « idéaliste » de Michel Karlof[3] : Tant qu’un particulier (fortuné) pouvait financer ses films sur sa cassette personnelle et pour son propre plaisir, il s’agissait à coup sûr de cinéma amateur. Pourtant on peut considérer que tant que dura la recherche technologique et linguistique, la production cinématographique, même projetée à un public payant, fut fortement teintée d’amateurisme. D’où il découle que les cinéastes qui se contentent d’exploiter, même proprement, le filon connu et reconnu du cinéma sont des cinéastes professionnels et que ceux qui prennent des risques, dans la recherche d’un langage différent, sont des amateurs de cinéma professionnel. Ainsi le qualificatif d’amateur reprend toute sa noblesse. Et toute son équivoque. 







Et qui sont les cinéastes amateurs ?

Il y a d’abord les « pères de famille » (rarement les mères) qui filment les premiers pas de bébé, le baptême puis les communions, les mariages, les anniversaires, tous les événements heureux de la vie y compris les vacances, tout naturellement. Et puis il y a ceux qui filment autrement les vacances, ils font des films de voyage. Les images sont soignées, les plans sont judicieusement montés et puis on ajoute un commentaire, parfois savant. Il y a ceux qui, avec plus ou moins de réussite, imitent le cinéma professionnel. Ils réalisent des films de fiction ou des documentaires. Quelques-uns profitent de leur liberté d’amateur pour réaliser des œuvres singulières. Il y a ceux qui, plus ou moins consciemment, font œuvre d’ethnographe, d’historien ou de journaliste. Ce sont parfois les photographes locaux. J’ajouterai à tous ces amateurs les artistes qui ont une approche différente du cinéma mais sans chercher une diffusion professionnelle de leurs travaux.




Il y a « quelques années », je réfléchissais déjà à ces questions[4] :

L’amateur, dans les domaines artistiques, gagne en liberté ce qu’il perd en moyens et en temps. C’est une constatation et il serait dommage de ne pas profiter de l’avantage. Sur ce point, à l’occasion d’un article concernant « L’Espoir » d’André Malraux, le critique cinématographique André Bazin entamait une réflexion :
- Une œuvre collective peut avoir « du » style mais il est presque impossible que le principal réalisateur parvienne à s’imposer suffisamment à toute l’équipe pour que l’œuvre atteigne un style aussi personnalisé que dans les arts individuels. Il n’est guère que le film d’amateur qui parvienne paradoxalement, grâce à la pauvreté de ses moyens, à une liberté d’expression que la lourde machine commerciale ne permet pas ; C’était aussi le cas du film muet, moins tributaire de la technique et où le montage (moment absolument individuel de la création) jouait un plus grand rôle. Il restait du reste dans beaucoup de films muets quelque chose de l’amateurisme. Nous le voyons bien dans l’œuvre de Vigo et l’on peut se demander si la crise de croissance décisive du metteur en scène moderne, celle qui décide de sa santé future, ne réside pas dans la liquidation du film d’amateur dans le film commercial.

La liberté de ton, la fraîcheur, l’insolence, voici des qualités dans lesquelles tout film d’amateur devrait se draper. Ce n’est bien sûr pas souvent le cas. La plupart du temps, pour les films familiaux, on filme la vie comme elle va, sagement, sans « vague », dans le respect des conventions et de la « bonne morale ». On fixe sur la pellicule tous les moments « heureux » de l’existence, en fait, les plus conventionnels, en se gardant bien d’aborder des événements plus graves, des excentricités ou des instants décalés comme si la gaieté, inhérente à l’action de filmer, devait se cantonner à la banalité. En fait, la liberté ça se gagne et ça se mérite. Il est parfois bien difficile de lui rendre hommage.

André Bazin cherche ensuite dans certains films de certains réalisateurs une parenté avec le cinéma d’amateur qui pourrait expliquer quelques échecs commerciaux, selon lui.
- Alors que dans l’œuvre commerciale le metteur en scène ne doit songer qu’au public, il reste dans les meilleurs films de Renoir je ne sais quelle délectation à usage interne, quelle complicité des copains qui font un film ensemble pour leur plaisir. Aussi « La Règle du jeu » n’est-elle pas parvenue à sortir des clubs où la censure n’est pas seule à la confiner.
L’évolution actuelle du cinéma américain qui tend à l’élimination du style individuel au profit d’une stylistique de plus en plus anonyme va dans le même sens : l’exclusion de toute trace d’amateurisme.
Le problème qui pourrait se poser à propos de Malraux serait de savoir dans quelle mesure « L’Espoir » reste un génial film d’amateur, bien qu’il ait été tourné en studio avec des acteurs et un opérateur professionnel…
Il y aurait donc un « style » cinéma d’amateur qui ne serait pas seulement inhérent aux films d’amateurs mais qui pourrait également se rencontrer dans certaines productions professionnelles. Quels seraient les éléments déterminants d’un tel style ? L’ambiance « bande de copains », même s’il peut s’agir d’un de ces éléments, ne me semble pas primordiale. La spécificité du cinéma amateur me semble plus porter sur le regard du cinéaste qui dans le cadre de son activité sera à la fois réalisateur, caméraman et monteur. Il m’est arrivé de constater, en voyant des films de voyage, de me dire que tels ou tels plans n’auraient pu être filmés par un journaliste ou un caméraman professionnel car leurs regards sont déformés par une certaine vision des choses, convenue, préétablie. Seul le regard de l’amateur, ou le talent d’un documentariste, serait capable d’apporter la surprise chez le spectateur, de capturer les choses précieuses en opposition radicale aux scoops journalistiques. Encore une fois, je ne prétends pas que le cinéma d’amateur tel qu’il est constitue une quelconque caverne d’Ali Baba remplie de trésors inestimables, mais simplement, il recèle des capacités réellement importantes qu’il ne tient qu’à lui de mettre en avant, d’explorer.

Pourquoi une cinémathèque ?

On peut faire remonter la naissance du cinéma amateur à l’invention, en 1922, par Charles Pathé (avec Pierre-Victor Continsouza), du format réduit 9,5 mm et du projecteur Pathé-Baby, conçus pour le plus large public. La caméra adaptée au format apparut en 1923. La même année, Kodak lança  le format substandard 16 mm prévu également pour les amateurs. Le format 8 mm, de Kodak, naquit en 1932 et le super 8 mm (et le single 8 japonais) lui succéda en 1965. La vidéo analogique commença à détrôner le cinéma argentique des amateurs dès la fin des années 70. Tout cela pour dire l’importance en volume et en qualité du patrimoine que représentent les films tournés par les cinéastes amateurs. Depuis 1923, quantité d’événements familiaux, locaux, nationaux ont été inscrits sur pellicule puis sur bande magnétique, des quantités de lieux détruits, dénaturés, de paysages remodelés, de petits métiers disparus et puis toutes ces familles, tous ces gens, ces inconnus immortalisés par le cinéma !
Il y a donc ce genre de cinéma, précieux pour les archivistes, les historiens, mais pas seulement. Et puis il y a toutes ces fictions, ces essais, ces recherches audacieuses : films maladroits, intéressants ou brillants qu’il faut préserver à tout prix.
La richesse du cinéma amateur, on peut actuellement l’imaginer mais guère l’appréhender sous tous ses aspects.
Le rôle des cinémathèques régionales est important mais pas suffisant : une cinémathèque plus généraliste se doit de récupérer et de mettre à la disposition de tout un chacun ce qui n’intéresse guère les régions.

Comment pourrait-elle fonctionner ?

La Cinémathèque du Cinéma Amateur se doit de récupérer, restaurer et sauvegarder tous les films, sans sélection car, comme le précisa, à une époque Henri Langlois, on n’est pas en droit de juger de la valeur des films et par conséquent de choisir ceux qu’il convient de conserver et ceux que l’on pourrait se permettre d’ignorer. Mais elle se doit également de récupérer le matériel approprié nécessaire à la survie des films : caméras, projecteurs, tables de montage, etc.
Il faut également rassembler tout ce qui concerne les cinéastes amateurs (photographies, éléments biographiques, etc.) et tout ce qui concerne le cinéma amateur dans son ensemble avec son volet films d’éditions inauguré dès 1922 avec la filmathèque Pathé.
Et puis, pour rester encore sur les positions de Langlois, ces films sont destinés à être projetés dans leur format d’origine pour pouvoir les apprécier à leur juste valeur avec la lumière, les couleurs, le grain et la définition qui les caractérisent. On n’imagine pas présenter une exposition de photocopies à la place des dessins originaux ! Ça viendra peut-être !
Ainsi la mise à disposition du public, citée plus haut,  devrait se faire, à mon avis, par des projections publiques et avec la possibilité, à la demande, de consulter les films sur visionneuse. Concernant la sauvegarde des films, l’absence de négatif pour la quasi-totalité des films amateurs complique les choses. Cependant le tirage de copies de sauvegarde dans les formats d’origine des films les plus fragiles ne reviendrait pas plus cher que la numérisation à outrance largement pratiquée aujourd’hui. Techniquement, cela ne poserait pas de gros problèmes. Il suffit de le vouloir et de le décider.

Une vaine aspiration ?

Bien sûr, il y a quelque chose de dérisoire à tenter de sauver toutes ces choses d’une lointaine (peut-être) mais quasi inévitable destruction, un peu comme dans une course à l’immortalité et puis quand on pense au volume d’objets à préserver, ça donne le vertige. Cependant je ne peux m’empêcher d’aimer profondément cette propension cinéphilique acharnée à lutter contre l’oubli et le néant et de croire qu’il se trouvera bien un nouvel Henri Langlois pour le Cinéma Amateur, le plus tôt sera le mieux !

Michel Gasqui
Paru dans Cinéscopie n°43, Septembre 2016.






[1] L’ouvrage de référence : Les Cinémathèques – Raymond Borde – L’Âge d’homme – 1983.
[2]  Georges Régnier – Le Cinéma d’amateur – Larousse/Montel – 1977.
[3]  Michel Karlof – Cinéma super 8 et vidéo légère – Denoël – 1980.
[4]  Dans la revue Infos-Ciné n°55 – septembre 2003.





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